A chaque pays ses coutumes, et finalement sa propre morale. Un jour à Iowa City on a vu passer une publicité pour le programme du Dancers Night Club qui annonçait qu’en plus des quatorze filles habituelles une star du strip-tease du nom de Candee Apples, alias Pommes d’Amour, devait présenter son numéro. Son show s’appelait «La plus belle poitrine de l’Ouest ». Si l’on doit voir au moins une fois dans sa vie les pyramides ou le Pape, alors la plus belle poitrine de l’Ouest mérite aussi le détour. Du coup nous avons décidé avec mon collègue écrivain d’y aller.
Les villes américaines ne brillent pas comme chez nous par leur centre ville. Le fameux club se trouvait donc à l’écart dans la banlieue, parmi des entrepôts. Le club ne payait pas de mine, ni à l’extérieur ni à l’intérieur. Le ticket d’entrée était relativement bon marché et les boissons ne coûtaient pas plus cher qu’ailleurs. Et vous pouviez même jouer au billard pour quelques cents pendant les courtes pauses entre les numéros. Seul l’agencement du club était à l’unisson de sa destination. L’équipement le plus important était le podium avec un mât argenté autour duquel les strip-teaseuses s’enroulaient de manière plus ou moins séduisante. Des tabourets de bar étaient disposés autour de la scène. Le reste de la pièce était équipé de petites tables avec deux chaises auprès de chacune d’elles. Quelques chaises étaient placées exprès au fond, contre le mur. La cabine du disc–jockey était à côté de la scène. C’est tout. Il manquait encore des lumières pour dissimuler l’austérité de la pièce et les décibels de la musique. On pouvait commencer.
L’essentiel du programme est assuré par des filles de différents âges, de différentes tailles et de différentes couleurs de peau. Elles montent sur scène une par une et font leur numéro en cinq à dix minutes. Chacune arrive avec sa propre musique et montre ses appas, si appas il y a, car parfois même ceux–ci manquent de façon criante. Le show doit montrer le maximum. Ce maximum consiste en un corps dénudé avec un petit slip en bandeau. Le slip est très important, car les clients y glissent les dollars. Si la fille attire l’attention d’un client, celui-ci vient de la petite table, du comptoir ou de la table de billard vers la scène et s’assoit sur un tabouret de bar devant. C’est le signe pour la fille qu’elle peut commencer à encaisser. Elle fait tout d’abord un petit numéro bizarre comme si elle devait montrer à ce client plus qu’aux autres – ce qui n’est qu’une illusion, bien sûr. Le client ne voit que ce qu’il a déjà vu sauf qu’il le voit de plus près. Le grand écart et certaines autres poses sont très appréciés. Certaines filles descendent de la scène vers le client, et il s’ensuit une vraie gymnastique avec des règles précises. La fille peut s’approcher du client, elle peut le toucher (par exemple avec sa poitrine), mais le client, lui, peut tout juste toucher les cuisses. Cette tentation ne dure pas plus d’une minute, la fille encaisse tout de suite et continue plus loin. Après son numéro elle traverse en général encore la salle pour voir s’il n’y pas un autre client intéressé. Le service extra consiste à amener le client vers les chaises contre le mur pour lui montrer ses appas ou même pour se blottir contre lui beaucoup plus longtemps.
Candee Apples n’était pas grande mais elle était sculpturale. Bien sûr, le costume qu’elle enlevait était beaucoup plus spectaculaire que celui des filles avant elle. Son numéro venait à peine de commencer que les clients auxquels Candee proposait un truc extra se massaient déjà autour de la scène. Pas d’étalage devant tel ou tel de ces loqueteux locaux, pas de grand écart. Elle demandait d’abord le billet puis, après l’avoir plié en deux, elle le posait sur le nez du client pour le reprendre ensuite en le serrant entre ses deux gros seins. Spectaculaire, élégant, et surtout rapide. En un rien de temps, la star de la soirée avait une belle liasse de dollars sous sa jarretelle. Je dois avouer que je n’ai pas pu résister. Laisser la plus belle poitrine de l’Ouest subtiliser un billet de banque sur mon nez protubérant devarait être un événement dont on se souvient le reste de sa vie. Alors, à la fin, j’ai tenté le coup. C’était un peu comme une caresse maternelle, quelque chose de gros, de doux et de parfumé s’écrase contre vos yeux et, quand vous les ouvrez, vous êtes délesté d’un billet et enrichi d’une expérience.
Après le spectacle, Candee, en tant que star de la soirée, vendait ses photos et pour quelques dollars de plus elle était prête à se laisser photographier sur vos genoux, le buste dénudé. Probablement pour que vous puissiez frimer avec vos amis et donner un prétexte à votre épouse d’entamer une procédure de divorce. C’était irrésistible, j’avais envie d’en apprendre un peu plus sur elle qu’un client ordinaire. Un écrivain a le droit d’être curieux ! Je me suis présenté et j’ai commencé à bavarder avec Candee. Elle s’est montrée assez gentille, même cordiale, mais elle a regardé ma carte de visite un peu trop longtemps. Ce n’est qu’après un bon moment qu’elle s’est écriée d’une manière non professionnelle : « Slovaquie ?! Alors on est presque compatriotes ! Je m’appelle Halyna et je viens d’Ukraine. »
C’est comme ça, mes amis, que la vérité a refait surface : la plus belle poitrine de l’Ouest venait en réalité de l’Est !
Traduit par Diana Lemay
From a book (see in E-book form here) by Gustáv Murín: Le monde est petit – collection of travel stories in bilingual Slovak–French edition, Langues&Mondes–L´Asiathèque Publ., Paris, 2005.