SOUVENIRS – Histoire canadienne

Plus personne ne sait probablement qui a été le premier à rapporter d’un voyage lointain quelque chose de tout à fait inutile mais de remarquable, et à lui donner le nom de souvenir. Qui sait, peut être ce mot est-il né pour justifier le vol d’un petit vase dans la chambre d’un antique caravansérail. Mais, sûrement, personne ne doute qu’un souvenir doive être une preuve authentique et unique attestant de la réalité de nos pérégrinations. A notre époque de mondialisation une telle chose est définitivement révolue.

Déjà dans les années 60 du siècle dernier, le marché aux souvenirs était totalement chaotique. Quand mon père a acheté en Irak des cadeaux pour ses parents en Slovaquie, il ne se doutait pas de la surprise que ces cadeaux leur réservaient, à eux mais aussi à lui. Bien qu’on dise « A cheval donné, on ne regarde pas les dents», les parents ont regardé avec grande attention les objets exotiques de ce lointain pays arabe. Ainsi, au dos d’un petit tapis oriental « authentique » représentant une mosquée et son minaret, ils ont trouvé une étiquette en tissu avec l’inscription : « Made in Poland ». Ils ont très vite constaté aussi que l’assiette de cuivre, prétendument martelée à la main et offrant le portrait de la célèbre Shéhérazade, était fabriquée en série en Hongrie. Quant aux bijoux, qui n’étaient pas en or, ils provenaient d’une fabrique de la ville tchèque de Jablonec nad Nisou.

Suveníry, ilustr. Vanek
Suveníry, ilustr. Vanek

De nos jours, vous trouvez dans n’importe quelle grande ville du monde une boutique spécialisée dans les souvenirs africains ou indiens. Grâce à cela, vous pouvez avoir un appartement rempli de ces productions des pays exotiques sans avoir mis le pied hors de chez vous. J’ai acheté ainsi à Washington une véritable pelisse du Guatemala et à Prague un couple de petits canards d’Indonésie en bois peint. Les deux, il faut le dire, à un prix dérisoire en comparaison du coût d’un voyage sur leur lieu d’origine et du désagrément de transporter des valises pleines de souvenirs exotiques.

Tout à fait logiquement, un voyageur plus expérimenté préfère choisir quelque chose qui lui rappellera ses voyages, mais qui ne peut être acheté nulle part ailleurs. Cela demande de l’imagination et de la chance ! J’ai ainsi dans une vitrine à la maison un fer à cheval tombé lors d’une promenade en calèche dans la ville égyptienne d’Edfou, ainsi qu’un clou triangulaire trouvé par terre dans une forteresse de l’île finnoise de Suomenlinna et une kippa en papier distribuée aux touristes près du Mur des lamentations à Jérusalem. J’ai aussi une petite cuillère d’un hôtel de l’antique Bénarès, alias Varanasi, prélevée pour remplacer la cuillère que j’ai perdue là-bas. Et encore une petite cuillère tout à fait ordinaire d’un hôtel de Bruxelles pour compenser l’accueil peu aimable. Dans mon bureau, vous verrez aussi deux toques trouvées par terre – l’une, que j’ai ramassée près d’une discothèque à côté de la villa présidentielle de la ville thermale en décrépitude de Likani, appartenait à un garde du corps de Chevardnadze, le président géorgien de l’époque, l’autre fut perdue par un garde devant l’entrée principale d’un hôtel de Tel Aviv. Et, naturellement, j’ai tout un tas de petites pierres provenant des Îles Lipari près de la Sicile, de la ligne de partage des eaux au Nouveau Mexique, mais aussi du mont Fuji au Japon et du cimetière musulman de Sarajevo. Tous ces souvenirs – et en particulier ces petites pierres – ont un défaut : seul leur propriétaire en connaît vraiment la provenance. Sans l’histoire qui va avec, ils n’ont pas grande valeur, seul un récit approprié leur donne un sens. J’ai tout de même un souvenir original qui est à lui seul une histoire.

En rentrant dans une chambre d’hôtel de Toronto, au Canada, j’ai été très intrigué par une grande carte plastifiée élégamment typographiée et portant le texte suivant :

« Cher client, du fait du succès remporté par l’équipement de nos chambres, notre service administratif se permet de proposer à la vente les articles suivants :

Serviette de bain                                14 $

Serviette de toilette                              8 $

Oreiller                                               23 $

Housse de couette et taie d’oreiller   30 $

…etc

Les prix sont hors taxe.

Si vous décidez de prendre un de ces objets sans en avertir la femme de chambre, nous considérerons que vous êtes d’accord pour que nous portions la somme correspondante sur votre note.

Veuillez agréer… »

Je tenais cet avertissement à la main et je parcourais la chambre du regard. A première vue, tout l’équipement de la chambre avait un prix. Et pourtant, ils avaient oublié une seule et unique chose. Seul cet avertissement n’avait pas de prix ! Alors, je l’ai pris, comme souvenir…

 Traduit par Alain Moulia

From a book (see in E-book form here) by Gustáv Murín: Le monde est petit – collection of travel stories in bilingual Slovak–French edition, Langues&Mondes–L´Asiathèque Publ., Paris, 2005.

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