Rome, la Ville Sainte, est une suite admirable et imposante de monuments historiques, d’églises et de temples. Mais le dimanche, aux alentours de midi, elle est calme et endormie comme un petit village d’une vallée oubliée. Et c’est justement dans un moment pareil que notre autocar de tourisme s’est arrêté aux portes du Vatican.
« Vous avez une heure pour visiter les alentours ou faire des achats », a déclaré avec optimisme notre guide. Manifestement il n’avait pas remarqué qu’il n’y avait pas un magasin en vue et qu’il n’y avait pas non plus grand-chose à voir. La majeure partie de notre groupe de touristes a tout de suite laissé de côté cette proposition et s’est concentré sur des objectifs pratiques tels que la recherche de toilettes ou la dégustation de la dernière boîte de pâté qui restait encore des provisions de chacun. Mais ma femme et moi nous étions investis d’une mission importante, à savoir acheter quelque chose, au besoin n’importe quoi, pour persuader nos parents à la maison que nous nous étions vraiment rendus en Italie. Et comment aurions–nous pu leur expliquer que nous n’avions rien acheté de « typiquement italien » alors qu’à Rome on nous avait laissé le temps de le faire ? Nous avions bien le temps mais, pour ce qui est des achats, cela semblait désespéré.
« Nous n’avons pas de chance », a dit ma femme, « peut–être que nous réussirons tout de même à acheter quelque chose sur la route du retour.»
« Il ne faut pas compter là–dessus. Nos chauffeurs vont conduire si vite qu’ils s’arrêteront à peine à la frontière. » Il me semblait qu’un miracle était la seule et unique solution. Et où donc cela pouvait-il se produire si ce n’est dans la Ville Sainte ?
« Allons – y ! » ai–je dit fermement.
« Où ?» a demandé ma femme.
« Allons – y et nous verrons bien », ai–je répondu en me mettant en route. Ma femme m’a suivi, comme des générations de femmes avant elle ont suivi leurs époux débiles – avec mauvaise grâce et résignation. Nous bougions, c’était déjà ça de pris.
J’ai choisi la direction instinctivement. A partir de la place de la basilique Saint-Pierre, à gauche, par une longue rue déserte. C’était désespérant. Non seulement il n’y avait pas une boutique ouverte dans toute la rue, mais il n’y avait tout simplement aucun magasin. J’ai persisté malgré tout dans l’idée qu’enfin il en apparaîtrait un. Ma femme n’avait même plus envie de protester. En fait, nous ne nous parlions pas vraiment, il n’y avait plus rien à dire. A cette heure brûlante de midi, le seul bruit que nous entendions étaient l’écho de nos pas et, par les fenêtres, les voix des convives mêlées aux bruits des couverts, caractéristiques de cette fête qu’est le repas dominical. Il est difficile de s’imaginer une expédition plus désespérée. Mais ça n’a pas duré longtemps. Après quelques centaines de mètres, nous nous sommes retrouvés à la périphérie de la ville ! Il n’était pas facile de croire qu’une ville si imposante se terminait à si peu de distance du centre, cependant tout semblait indiquer qu’il n’y avait plus nulle part où aller. La rue prenait fin pour se transformer en une route qui conduisait, après un virage, à une espèce de forêt. Il était réellement malaisé de trouver un endroit moins propice aux achats.
Ma femme s’est mise à sourire tout comme des générations de femmes avant elle lorsqu’elles veulent faire entendre triomphalement à leur fou de mari que décidément leur idée–là n’est pas la meilleure. J’ai voulu lui dire quelque chose, mais il n’y avait rien à dire. Notre quête du miracle s’achevait. Cette idée n’avait pas marché. Il était plus que temps de rentrer.
Alors, nous nous sommes retournés – et c’était là. Non seulement nous avons vu enfin une boutique ouverte, mais bien plus, tout un supermarché ! Il se trouvait de l’autre côté de la rue et, de la direction par laquelle nous arrivions, il était caché par les maisons. Il n’était pas grand mais suffisait pour nos achats. Ça n’a pas été long. Nous étions les seuls clients et dans tout le magasin il n’y avait qu’une vendeuse. Au moment où nous nous approchions d’elle avec un caddy rempli « de cadeaux typiquement italiens et faisant de l’effet », j’ai avisé un rayon de rasoirs. Vous connaissez certainement ce paradoxe – vous pouvez acheter un rasoir ordinaire à bas prix (ou même le recevoir gratuitement) mais les lames, elles, sont diablement chères. Et il y en avait ici un large choix et à un prix assez raisonnable. J’en aurais bien ramené quelques–unes à la maison. Ça aurait certainement été un achat judicieux. Mais il y avait un problème. Il ne nous restait plus d’argent. Nous sommes restés indécis devant le rayon un moment et avons calculé quels cadeaux reposer sur les rayons afin que je puisse m’acheter des lames. Mais nous avions déjà par ailleurs raccourci notre liste de cadeaux et en éliminer ne fût–ce qu’un seul n’était pas envisageable. En fin de compte les miracles ont des limites. J’ai dû renoncé à cette idée. Nous nous sommes dirigés vers la caissière et avons commencé à déposer les achats sur le comptoir.
Pendant que je payais, Janina, ma femme, avait remis les cadeaux dans le caddy et s’était dirigée vers la sortie. Je lui emboîtais le pas quand quelque chose est tombé brusquement du chariot. Alors que j’allais le ramasser, je suis resté interdit. En effet, du chariot était tombée une petite boîte de ces lames qui nous avaient fait tant hésiter. J’ai regardé Janina mais elle était occupée à répartir les cadeaux dans des sacs en plastique. J’ai regardé la caissière, elle ne nous prêtait aucune attention. Alors j’ai ramassé ce cadeau du ciel et je suis allé le montrer à Janina. C’était incroyable. Il n’y avait pas d’explication au fait que ces lames aient pu se retrouver dans le caddy. Nous ne nous étions absolument pas approchés de ce rayon, nous nous étions simplement arrêtés devant lui un instant. Rien de plus. Et maintenant elles se trouvaient là dans mes mains ; l’instant d’après, Janina les avait mis sans hésitation avec les autres articles dans un sac en plastique.
« Tiens, génie des achats, et en plus un cadeau du bon Dieu », a–t–elle dit en me poussant en direction du car.
Il faut reconnaître que c’était un petit miracle. Je dois juste ajouter quelque chose – je ne suis pas un expert en lames de rasoir et il semble que Dieu ne le soit pas non plus. Dans le rayon de ce centre commercial, j’avais vu des lames qui, me semblait-il, convenaient à mon rasoir. Mais je faisais erreur. Lorsque je suis revenu chez moi, je me suis rendu compte que les lames de cet achat miraculeux à Rome m’étaient à peu près inutiles. En fin de compte, les miracles ont vraiment leurs limites.
Traduit par Alain Moulia
From a book (see in E-book form here) by Gustáv Murín: Le monde est petit – collection of travel stories in bilingual Slovak–French edition, vyd. Langues&Mondes–L´Asiathèque, Paríž, 2005.