Ceux qui ont survolé l’océan sont souvent torturés par un phénomène connu : le « jet lag ». Les symptômes de ce mal surviennent lors du survol de plusieurs fuseaux horaires ; l’horloge dans votre tête est perturbée car vous volez à contresens du temps. Ainsi, quand il fait nuit chez nous, il fait encore jour chez vous. C’est surtout cruel l’après-midi, car tout vit autour de vous alors que dormir est votre plus pressante envie. Encore marqué par des changements trop rapides de continents, je suis parti travailler le lendemain de mon atterrissage. Tout s’est bien passé mais, en sortant du laboratoire, j’ai voulu m’arrêter à la Direction de notre institut scientifique. J’y suis arrivé au moment même où un de nos collègues donnait une petite fête. Nous sommes donc restés à bavarder, j’ai bu un verre ou deux de vin, et je suis parti tranquillement à pied jusqu’au tramway. Je suis bien monté dedans car sur le tramway il y avait une inscription « RAČA » et nous habitions trois arrêts avant le terminus de Rača. Je me suis assis près de la fenêtre, j’ai regardé dehors – et tout à coup, panne de courant. Sûrement dans ma tête. La biologie moderne a prouvé que, même quand nous dormons, il y a toujours en un point du cerveau les « tubercules quadrijumeaux », quatre ampoules de secours en état d’alerte. J’ai peur qu’elles aussi soient tombées en panne à ce moment–là, ou au moins certaines d’entre elles. L’obscurité profonde s’est faite, dans un silence de tombe.
Je ne sais pas si vous êtes sereins en ce qui concerne la vie après la mort. Moi, je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Ce n’était pas d’actualité, ni dans mes projets. Rien à ce propos qui pourrait être noté dans le planning hebdomadaire et coché à la fin de la semaine. Simplement, ces réflexions ne sont pas à la mode aujourd’hui. On n’a pas de temps pour ça. C’est pourquoi je n’étais pas préparé psychiquement à mon entrée dans l’autre monde. Mais j’ai été sincèrement surpris de la vitesse avec laquelle j’ai pris conscience du passage dans l’autre division. Presque comme une évidence. Je me suis juste un peu étonné. Ainsi, c’était cela la fin de toutes les fins ?! Essayez seulement de suivre mon point de vue. Surgi du vide total, vous ouvrez brusquement les yeux et vous ne savez pas où vous vous trouvez. Au–dessus de vous se dresse une femme bizarre qui vous raconte quelque chose comme :
« C’est la fin… ».
La fin ? La fin de la vie ? Vraiment la fin ? Si tôt ? Pourtant, je n’avais pas imaginé l’ange à la porte du ciel comme ça. Dans l’univers merveilleux que m’offrait le champ visuel de mes yeux entrouverts, à cet instant, dans tout ce deuxième monde, nous n’étions que nous deux, elle et moi. A vrai dire, cela pouvait tout à fait être vrai, car j’ai toujours cru que ce sont les femmes qui nous font entrer au paradis. J’en ai rencontré quelques unes sur cette terre et l’excursion avec elles pour un court instant de paradis en valait la peine. Mais cette bonne femme–là paraissait étrange. Pas belle, administrative, pas angélique. Pour lever un tel doute, il existe une question:
« Mais pourquoi ? Et pourquoi si tôt ? »
Au lieu de répondre, cette bizarre créature s’est mise à rire ou plutôt à hennir en rigolant très fort. Ce qui a fait apparaître toutes ses dents gâtées, pas celles d’un ange. Quand elle a cessé, elle a dit avec assurance :
« Parce que nous sommes à RAČA. »
C’était un point de repère. RAČA, je connais. Et cet ange – je suis probablement dans un paradis slovaque, de quatrième catégorie, sans le service. J’ai regardé tout autour. Elle avait raison. En tramway, il est difficile d’aller au paradis. Les tramways ont un terminus. Là, ils repartent en sens inverse, vers la vie. Alors, je suis descendu.
Traduit par Antoine Ehret
From a book (see in E-book form here) by Gustáv Murín: Le monde est petit – collection of travel stories in bilingual Slovak–French edition, Langues&Mondes–L´Asiathèque Publ., Paris, 2005.