Je sais qu’en société les toilettes publiques ne sont pas vraiment un sujet des mieux reçus mais, d’un autre côté, il est évident que même une personne très bien élevée ne peut s’en passer lors de ses voyages. Et c’est justement là, en ce moment des moins glorieux, que des surprises nous attendent sournoisement. Par exemple, le fait qu’en Inde on n’utilise jamais de papier. Je vous assure, il n’y a pas de papier là-bas. C’est tout. Par contre, à la place, on doit se servir de l’eau d’un petit seau posé à côté. Comment, ne me le demandez pas, je n’ai pas essayé, je n’en sais rien. D’un autre point de vue, non seulement cette coutume indienne protège les forêts, mais en plus, à ce que l’on dit, elle est bonne pour la santé. Je ne garantis pas les informations données plus haut, mais ce que je peux dire, c’est qu’il n’y a pas qu’en Inde qu’il vous faudra emporter du papier hygiénique.
D’un autre côté, au Japon vous vous passerez fort bien de papier si vous tombez sur une de ces cuvettes ultramodernes qui évoquent plutôt des sièges éjectables pour pilotes d’avions de chasse supersoniques. Là, vous disposerez d’un choix de boutons et de cadrans aussi varié que dans une cabine de pilotage. Sauf que si vous ne choisissez pas correctement la température et n’appuyez pas sur le bon bouton, vous vous ferez projeter jusqu’au plafond par un geyser d’eau brûlante. Mais dès que vous retomberez le mécanisme intégré à la cuvette se mettra à souffler avec compassion sur vos parties sensibles.
Les toilettes dites à la turque, qui savent si joliment tourmenter le monde, peuvent aussi surprendre en voyage. Surtout quand la personne en cause est une dame en radieuse toilette de soirée dans les toilettes beaucoup moins radieuses du célèbre théâtre du Bolchoï à Moscou. Bien que je ne sois jamais allé dans les toilettes pour dames du Bolchoï, j’ai mon expérience de l’approche russe de ce genre de choses. Dans une boîte de nuit de Saint–Pétersbourg non seulement il y avait des toilettes à la turque, mais les cabinets n’avaient que des portes à battants comme dans les saloons américains. Cela ne peut que plonger quelqu’un de chez nous dans l’embarras. Dans certaines positions, je n’aime pas faire connaissance avec des inconnus. D’un autre côté, je pense que les soldats russes qui venaient dans nos casernes pour un échange d’un mois devaient avoir du mal à adapter à nos toilettes européennes leurs habitudes « à la turque ». Tenir en équilibre sur les bords de la cuvette de porcelaine pendant tout le temps requis devait leur être très difficile. Les conséquences d’un tel bombardement, qui de plus avait duré un mois, étaient réellement effroyables.
Mais les circonstances nous contraignent parfois à tisser des liens avec ces lieux : ainsi par exemple, une saucisse trop grasse, mangée lors de vacances familiales dans une petite ville du littoral polonais, m’a contraint à séjourner dans une installation sanitaire du camping pendant quelques jours. D’avoir passé des heures entières, le regard fixé sur l’écriteau « Veuillez laisser cet endroit propre ! » apposé sur la face intérieure de la porte de cabinets m’a conduit à l’idée que ce panneau était le souvenir le plus approprié de mon séjour au bord de la mer en Pologne. Travail d’artiste, fait à la main!, il a été pour moi la chose la plus contemplée et la plus admirée parmi toutes les beautés de cette partie du monde.
Que les âmes sensibles me pardonnent toutes ces précisions si importantes pour la vie sur une activité qui nous unit tous, où que nous soyons. Tenez, par exemple, la manie absurde des constructeurs tchèques et slovaques de laisser une ouverture en partie haute du mur séparant les toilettes hommes et les toilettes dames, laissant ainsi libre passage au bruit et aux commentaires de part et d’autre (n’oublions pas qu’en principe les femmes vont dans ces lieux en groupes bien organisés de deux pipelettes ou davantage), peut tout aussi bien vous prendre au dépourvu jusqu’en Malaisie. Mais c’est dans la ville allemande d’Aix-La Chapelle que j’ai réellement eu la plus grande surprise de ce genre.
A ce qu’on dit, les Allemands sont des gens qui adorent la propreté. C’est un peuple qui rivalise avec le Japon et les États-Unis dans la course à la médaille d’or de l’hygiène. C’est justement à cause de ça que j’ai fait une seule tentative dérogatoire dans ma vie en visitant les toilettes d’une gare de chemins de fer. Des lieux que j’avais pris soin toute ma vie d’éviter en faisant un grand détour compte tenu des expériences acquises dans des gares ferroviaires de chez nous. Mais le fait que les cabinets de la gare d’Aix aient des portes en forte tôle et soient équipés d’un mécanisme à pièces m’a rassuré. Il était clair pour moi que si on devait payer pour ce genre de choses en Allemagne, on ne pouvait pas commettre de faute. Et pourtant! Après avoir glissé une pièce et entendu un gentil couinement de la porte, je l’ai ouverte. Grâce à quoi s’est offerte à moi la vision terrifiante d’un tas si énorme, probablement laissé par des dizaines de prédécesseurs ingénieux, que j’ai sur-le-champ refermé la porte métallique avec un cri d’épouvante. Dans un silence de mort, face à la porte claquée, j’ai commencé petit à petit à comprendre. De même qu’en Russie soviétique les serveurs ne débarrassaient pas les tables après les premiers clients du restaurant pour ne pas avoir à servir les suivants, ici, dans l’Allemagne capitaliste, quelqu’un a trouvé un plan génial. Sans entretien ni souci de la propreté, le mécanisme de ces toilettes se remplit, avec une fiabilité sans égale, de la petite monnaie des malheureux qui découvrent une fois de trop que nous avons tous certaines choses en commun, sur toute la surface du globe terrestre …
Traduit par Patrice Boudard
From a book (see in E-book form here) by Gustáv Murín: Le monde est petit – collection of travel stories in bilingual Slovak–French edition, Langues&Mondes–L´Asiathèque Publ., Paris, 2005.