La vie est remplie de faits et d’événements magiques. La vie en elle-même est magique, mystérieuse. Mais c’est sur les routes que nous attendent les choses les plus mystérieuses. Chaque fois que l’on prend la route, on donne sa chance à un événement magique.
Lors de mon premier voyage aux États-unis, dans le cadre d’un programme international des écrivains dans l’Iowa, j’étais au comble de l’enthousiasme. Les conséquences ne devaient pas tarder. Dès le premier jour, nous nous sommes retrouvés bloqués dans l’ascenseur. « C’est un événement exceptionnel, nous tranquillisa Mary, notre responsable du programme, cela ne se reproduira plus. » Le deuxième jour, Mary s’est trouvée bloquée elle–même dans l’ascenseur.
Aussi n’ai–je pas été surpris lorsque, ce jour là, le bus de l’université s’est refusé à bouger quand nous y sommes montés. Une fois chez nous à l’internat, les alarmes d’incendie se sont mises à sonner, heureusement pour rien. Le soir du deuxième jour, je jouais au tennis avec Alan, un collègue australien. Les lumières du court se sont éteintes brusquement, nous nous sommes retrouvés dans l’obscurité. Quelques jours plus tard, l’air conditionné s’est brutalement arrêté dans ma chambre. Quand je suis sorti pour chercher de l’aide, j’ai fermé la porte à clé. Impossible ensuite de la rouvrir, la serrure était coincée. Bref, tout ce qui m’entourait un tant soit peu technique susceptible de tomber en panne rendait l’âme sous l’effet de mon énergie.
Cela avait aussi des conséquences tout à fait curieuses. Tout au début du programme, les responsables ont fait avec nous des entretiens destinés au réseau universitaire de télévision. Pour ces entretiens, ils avaient leur propre studio et du matériel technique que manipulait Lem, le mari de la secrétaire du programme des écrivains. Comme plusieurs autres, on m’invita aussi dans la petite bibliothèque où nous attendaient déjà le professeur qui allait diriger l’entretien et Lem, content d’avoir tout mis en place et tout examiné, satisfait que ça fonctionne. Ce n’était pas vraiment un grand technicien, mais il tentait de l’être. A peine entré, je montrai le canapé où je devais m’asseoir :
« Ça, c’est une excellente idée, je vais m’allonger dessus et nous mènerons l’entretien comme une séance de psychanalyse. »
Le professeur était enthousiaste, Lem, lui, était très inquiet. Il n’imaginait pas pouvoir modifier sur le champ toute cette technique difficilement installée selon le mode d’emploi habituel, et en particulier les éclairages. Il a donc mis son veto à cette idée géniale pour des raisons pratiques. Nous nous sommes soumis et avons réalisé l’entretien de façon traditionnelle et selon les normes habituelles.
Quelques jours plus tard, j’ai rencontré Lem, très troublé. « Cet entretien n’a pas été enregistré, pas une seule seconde. Tu as gagné, Gustáv. Nous allons le refaire, et nous le referons à ta manière, tu auras ta séance de psychanalyse. »
Au bout de deux semaines, je me suis installé enfin et les choses autour de moi ont semblé reprendre leur fonctionnement habituel. Plus tard, au retour de deux semaines sur la côte est, la série de pannes techniques mystérieuses s’est répétée autour de moi. Cependant mon séjour a été assez long pour que la routine quotidienne reprenne le dessus. Jusqu’à mon départ, seul un phénomène magique persistant m’a accompagné.
Devant notre internat se trouvait une rangée de lampadaires. Lorsque je rentrais le soir chez moi, et que je passais devant, une lampe s’éteignait à mon passage. Et elle s’allumait de nouveau quand j’étais passé. Je la reconnaissais facilement au panneau de limitation de vitesse qui y était fixé. Souvent je ne pensais plus à ce curieux salut du lampadaire, mais il se rappelait toujours à moi.
Une fois une collègue américaine m’a ramené d’une manifestation littéraire à l’internat. Arrivés en vue du lampadaire, je me suis rappelé ma lampe et je lui ai raconté l’histoire. Tout de suite j’ai été pris d’un doute : « Tu vois, maintenant, en voiture, à cette vitesse et à cette distance, la lampe ne nous remarquera probablement pas. » Mais elle nous a remarqué, a clignoté et nous avons failli avoir un accident.
La collègue américaine a stoppé la voiture et m’a regardé d’un œil neuf :
« Tu es le diable, Gustáv, le sais–tu ? »
Il était vraiment temps d’oublier ce salut mystérieux du lampadaire, ou au moins de ne pas en parler publiquement. Il est vrai qu’en Amérique ils ont brûlé la dernière sorcière à Salem il y a plus de trois cents ans. Mais s’ils décidaient de s’en prendre maintenant aux hommes « électriques »? Quand trois mois plus tard je suis revenu de l’Iowa à la maison, je l’avais déjà presque oublié.
Sept ans plus tard, j’ai eu la chance de revenir dans l’Iowa comme intervenant pour ce même programme. Naturellement j’étais de nouveau enthousiaste, plein d’énergie. Tout le programme avait été transféré dans la nouvelle résidence universitaire, plus proche du centre. A peine étions–nous installés que l’une des personnes qui travaillait au programme m’a conduit à une soirée chez le nouveau directeur. Pendant le trajet, je lui ai raconté mes expériences précédentes sans oublier les phénomènes électriques mystérieux. Nous nous en sommes beaucoup amusés et nous sommes arrivés de très bonne humeur à la maison du directeur. La première vision qui nous a été offerte, je l’oublierai difficilement. Dans la petite véranda qui se trouvait devant l’entrée, le directeur, debout sur une chaise, changeait une ampoule électrique qui venait juste de sauter. Ma nouvelle guide a jeté vers moi un regard que j’avais déjà croisé autrefois mais, avant qu’elle ait pu dire quoi que ce soit, je me suis éclipsé rapidement. Je crois que je savais ce qu’elle avait sur le bout de la langue …
Traduit par Antoine Ehret
From a book (see in E-book form here) by Gustáv Murín: Le monde est petit – zbierka cestovných príbehov, bilingválne francúzsko-slovensky, vyd. Langues&Mondes–L´Asiathèque, Paríž, 2005.